BOUTAZOULT, LE ROUGE TE VA SI BIEN !
Jean-Yves TRAMOY, de retour des mines d'Imini, prends le temps de partager avec nous ce qu'il y a retrouvé.
"Maroc, je t'aime. A regret je te quitte.
A l'heure du départ, Marrakech-Ménara ressent les vibrations de tes tambours gnaouas portés par le vent depuis Jemââ el Fna, les parfums de la médina flottent, mêlées aux effluves de kérosène, et miroitent sur la piste d'aérodrome, comme des vaguelettes de chaleur derrière les réacteurs. Sont-ce de vraies senteurs ou des mirages cérébraux induits par le désir d'emporter l'Important ?
© Photo Tramoy
Maroc, chaque jour vécu sur ton sol est émotion, émotions, de l'arrivée jusqu'au départ. Sous le soleil ou sous la pluie, en ce joli mois de mai.
Bou Tazoult, le rouge te va si bien sous ton écorce de terre coulant le long de tes flancs ouverts par des torrents de pluie. Tes pierres roulent dans la crevasse tortueuse, entraînant avec elles les plantes et les arbres.
Éboulis © Photo Tramoy
Leurs graines renaissent plus loin, enfouies dans le ravin : les tiges croissent et se redressent peu à peu vers le soleil printanier.
Crevasse reverdissante © Photo Tramoy
Ainsi perdurent les troncs mille fois avilis, coupés, sciés, abattus, et leurs branches repoussent timidement, méfiantes, apeurées à l'idée de subir à nouveau l'assaut sauvage des haches. Tamaris, eucalyptus, oliviers font mieux que résister aux amputations sévères, et vont chercher dans cette terre nourricière les vitamines indispensables à leur cicatrisation, à leur repousse, à leur renaissance. Ils s'étalent au soleil, cambrent leur tronc, étirent peu à peu leurs bras au sortir d'un long sommeil, et fournissent l'ombre protectrice aux plantes tendres et fragiles courant à leur pied.
Les plantes fragiles à l'ombre © Photo Tramoy
Ils montrent à l'homme la voie de la sagesse : la vie doit perdurer dans ces contrées abandonnées pendant de si longues années. Tous ces végétaux vivants ont démontré que loin des sources jaillissantes, des cascades bruyantes se dissimulent des filons, minces filets d'eau profonds, tenus, des réserves de sève, de sang géniteurs de fleurs, d'herbes, de fruits, de nourritures pour les animaux et pour l'homme. La chaîne alimentaire renaît de ses cendres.
Une vie après le manganèse ? Lui-même est-il inépuisable ? Inépuisé. Rentable dans la nouvelle configuration mondiale économique ? La vie est là, au sein de cette nature d'apparence hostile. Autrefois domestiquée, arrosée, et baignée généreusement, arborée, jardinée, productrice. Telle la corne d'abondance, cette terre rouge de beauté a donné à profusion. Aujourd'hui, sous la terre ocre, le fil noir serpente, il ondule, passe sous les maisons, se cache sous l'école, affleure la surface avant que de disparaître à nouveau, joueur, cabotin, rusé, mais source de vie parce que de travail. Les puits et descenderies disséminés dans le jebel témoignent de l'intérêt manifesté à son encontre.
Descenderie près du cinéma © Photo Tramoy
Puits dans la maison © Photo Tramoy
Manganèse-eau ; eau-manganèse : l'association miracle, l'oasis de l'homme dans un univers où « poussent » des milliards de cailloux. Intimement l'homme dépend d'eux. Que serait-il sans eux ? Le manganèse a eu l'initiative, puis l'homme a cherché l'eau. L'eau pour sa survie, l'eau pour son projet industriel, l'eau pour ses loisirs et son cadre de vie, l'eau pour lui garantir son ombre et sa fraîcheur sous le soleil de plomb.
Mai 2011 beaucoup plus verdoyant que mai 2010 © Photo Tramoy
Homme, tu as construit les bâtiments de la mine pour exploiter le minerai noir, les maisons pour abriter les travailleurs et leurs familles, les écoles pour l'éducation de leurs enfants, et les dispensaires pour la santé de tous.
Homme, tu as bien construit. Rien n'est tombé à terre, hormis par agression. Les fissures des enduits témoignent de la dureté du climat, telles des plaies causées par les intempéries, la pluie, le gel et aussi la canicule qui attaquent les toits, insinuant les gouttes pernicieuses dans la maçonnerie. Les pierres solidement jointoyées restent unies, se découvrent peu à peu sous la lèpre du ciment ; mais les maisons vivent debout, leurs huisseries étanches au vent.
Cabine de la piscine © Photo Tramoy
Les habitations se fondent dans le paysage. Telles le caméléon. Leur rose initial se détache sur la montagne moirée et arborée à la lumière douce du levant, puis disparaît, trop exposé à la lumière du zénith. Les maisons se métamorphosent. Au couchant, elles sont de retour dans l'horizontalité des plantations, tranchant sur les palissades de roseaux parsemées de géraniums rouge vif, de griffes de sorcière jaune ou mauve. Peu à peu, l'obscurité les enveloppe, et elles glissent dans l'anonymat d'un ciel bleu marine constellé d'étoiles.
On dit que, dans la nuit, des voix murmurent d'arbre en arbre, les tamaris bruissent dans leur ramure fine, les oliviers et les eucalyptus agitent leurs feuilles bicolores, ils partagent les nouvelles de la journée passée, organisent déjà la suivante.
Cà et là quelques grenouilles coassent, dans quelque flaque d'eau, à la recherche des insectes nourriciers. Les renards furètent en quête d'une proie imprudente, avant de regagner prudemment leur terrier avant le premier rayon lumineux.
Le minerai a conduit l'Homme dans cette vallée, l'eau lui a offert les moyens d'y demeurer. L'Homme en est parti, l'Homme y est revenu. Des ombres bleues coiffées d'un casque de couleur vive investissent quelques maisons, marchent jusqu'à leur chantier et brisent le silence de la solitude iminienne.
Ouvriers devant la maison COTTIN © Photo Tramoy
Ils sont les nouveaux clients de Si BOUSTA, le seul commerçant restant à Bou Tazoult, … depuis toujours.
Si BOUSTA © Photo Tramoy
Je dédie cette visite à tous ceux qui visitent le blog, qui se sont retrouvés au cours de ces dernières années, à ceux qui ont eu l'intention d'y retourner, mais ne l'ont pu pour différentes raisons. Et j'ai une pensée particulière pour Yvon TEYSSIER, qui avait réalisé de bien belles photos en son temps et aurait aimé voir celles de maintenant. Cette édition 2011 a été une GRANDE édition pour moi, puisqu'elle m'a permis de retrouver Danka PAWLAK et Yves JAN, perdus de vue depuis plus de 45 ans. Cela fera l'objet d'un autre publication."
Merci Jean-Yves pour ce bel article, rédigé à peine de retour de ton voyage dans nos souvenirs...