FABRIQUE DE BARRES DE GLACE
L'usine de fabrication de glace de Boutazoult
Photo Pigneux 1954 de la collection Yvon Teyssier, voir un article sur la fabrique de glaces. Installation par le chef d'atelier Mathieu Poguennec, distribution par Salah Boulmik, la fabrique de glace se trouvait au fond de l'impasse formée entre la Cantine et l'épicerie.
JEAN-YVES TRAMOY NOUS RACONTE
Jean-Yves nous fait profiter de son envie d'écrire qui lui vient avec les jours longs de l'été. il partage avec nous son admiration pour ces pionniers qui, comme Mamie Paulette, ont participé à la création de la mine dans des conditions de confort des plus rudimentaires
Parlant des premiers « occupants » des mines d'Imini, on a peine à s'imaginer aujourd'hui les conditions d'installation de ces travailleurs, arrivant avec leur famille parfois, conditions qui tranchaient avec les habitudes et les conditions climatiques connues dans leur pays d'origine.
Pour le commun des touristes visitant le Maroc, le pays une réputation de contrée très chaude tout au long de l'année, et dans toutes les régions. C'est faire fi des variations saisonnières d'une part et des différences des contrées (rivages atlantique et méditerranéen, Atlas, grandes plaines agricoles, grand sud,...) d'autre part. Mais nous, anciens des mines de l'Imini, nous savons combien les hivers sont froids sur les hauts plateaux de l'Atlas, qui connaissent la neige, tandis que l'été y est brûlant et sec.
Au-delà de ces considérations climatiques, auxquelles le corps humain est confronté, demeurent les nécessités du quotidien, et particulièrement le problème de la conservation des aliments, et des médicaments.
Toutes les maisons de Boutazoult, d'Ouggoug possédaient l'eau courante et l'électricité (cf articles précédents sur les captages au Tidili et sur la centrale électrique), ce qui était déjà une réel confort. Mais les ménagères de l'époque ne jouissaient pas de l'équipement électroménager d'aujourd'hui, loin de là. Adieu mixer, cafetière électrique, machine à laver le linge (remplacée par une buanderie équipée d'un bac en ciment) ! Il y aurait là sujet à un bon article pour connaître les habitudes de chacun des foyers iminiens. Cuisinière (à charbon et à bois), fer à repasser existaient dans certains foyers, mais le réfrigérateur était absent. Où a fait son apparition le premier exemplaire ? Même dans les magazines pour enfants et adolescents d'alors, la publicité vantait la marque Frigidaire, devenue La référence.
A mon arrivée à Boutazoult (au tout début des années 50), j'ai découvert l'usage domestique de la glace. Un meuble en bois marron était installé dans une buanderie assez sombre ; c'est la première fois que je découvrais une glacière, meuble inutile en Savoie, notre précédente résidence, où les murs des caves étaient suffisamment épais pour garder une fraîcheur constante.
L'humidité produite par la fonte de la glace et son évacuation, l'obscurité du local clos pour éviter la chaleur extérieure, la température ambiante étaient propices à l'apparition de cafards, petits insectes bruns assez laids qui pullulaient. Ils s'intéressaient vivement au contenu de la glacière, et on luttait contre eux avec certains produits insecticides, sachant qu'ils peuvent transmettre des maladies telles que salmonellose, tuberculose, dysenterie, peste bubonique, rage, gastro-entérite, asthme,... Une peur rétrospective, surtout quand on sait que la descendance d'un couple peut aller jusqu'à une population d'un million de cafards dans l'année ! On devait être immunisés davantage que maintenant.
La SACEM pourvoyait aux besoins de la population grâce à la fabrique de glace située sur le côté de la cantine, créée pour fournir en froid les habitations, l'infirmerie et certains services de la mine nécessitant du froid.
Dehors, déjà le bruit s'imposait à nous et faisait vibrer les murs, résonnant dans la ruelle étroite : le vacarme des compresseurs s'amplifiait jusqu'à pénétrer dans le local, impressionnant par le gigantisme des machines et des tuyauteries. Le bruit continu obligeait à parler fort avec l'ouvrier marocain barbu, mais il devinait immédiatement la présence du visiteur, dont la silhouette coupait la lumière pénétrante du soleil. A la demande, du haut de son quai en ciment, il délivrait les pains de glace, longs de 60 cms et de section carrée de 10 cms, les disposant soigneusement dans le panier des « clients ».
L'épicerie voisine n'était pas équipée d'armoires réfrigérantes électriques, tout au moins au début. Directement du producteur au consommateur !
Mais il fallait faire vite pour transporter ce panier alourdi jusqu'à la maison. Pas question de lésiner en route sous peine de voir fondre une bonne partie de la cargaison,... et de se faire disputer en arrivant. Le froid était bien trop précieux. Course de vitesse, mais aussi effort physique intense quand il fallait rallier des habitations les plus éloignées, emprunter les montées, et s'enfoncer jusqu'aux quartiers proches de l'école. Les porteurs étaient courageux.
Payait-on la glace ? Je l'ignore, parce que je n'étais pas confronté aux contingences matérielles du foyer, gérées par Maman.
Cette fabrique de glace, indispensable en son temps, ne supprimait pas les contraintes d'approvisionnement. Plusieurs commerçants alimentaires tenaient boutique dans les différents villages : d'abord dans le bâtiment de la cantine elle-même, à proximité immédiate chez Allal ABOU LAMER bien connu des européens, et nombre d'autres dans le village marocain, particulièrement le boulanger.
Le poste de transformation était juché sur le toit de la fabrique de barres de glace que Salah BOUMLIK surveillait, c'est à dire à côté de la Cantine.
Un service de transport organisé par la SACEM « descendait » à Marrakech une à deux fois par semaine pour ravitailler les commerces et, sur commande, les particuliers. Mais là je mélange volontairement toutes les périodes. Il serait bon que les connaisseurs corrigent ces impressions et rédigent un article dépeignant la réalité de cet approvisionnement organisé, dont le relais logistique s'effectuait dans la villa SACEM de la rue Sebou à Marrakech.
Peu à peu, au fil des années, les foyers se sont équipés du précieux appareil, source de facilité domestique, et début du confort dans cet univers hostile.
Nous avons quitté le sud marocain avant l'ère des congélateurs, qui auraient encore davantage facilité la vie des ménagères. Mais attention alors aux pannes de courant électrique.
Remercions Jean-Yves de nous faire profiter de ses talents littéraires et de ses souvenirs d'inconforts que nous aurions tendance à sous estimer avec les équipements que nous connaissons aujourd'hui, si différent de ce qu'a connu Mamie Paulette en 1946, ainsi que les premiers pionniers. Bientôt quelques photos de 1946 à 1953 de la collection de Mamie Paulette.