LA CÉLÈBRE ROUTE DU TIZI N'TICHKA,
un long ruban tranquille de Marrakech à Imini ?
« 150 kms faisant rimer beauté et danger »
Jean-Louis Tramoy reviens pour nous raconter la route du Tichka et partager avec nous des documents rares, un compte rendu d'intervention après un accident de camion de manganèse en 1972, rédigé par l'ingénieur Jean-Louis Tramoy et accompagné de clichés-témoins du photographe René Bertrand.
A l'ombre des 4.167 mètres du Djebel Toubkal, le Djebel Tichka se veut plus modeste, mais il a la particularité de porter un col impressionnant à 2.260 mètres, sur la route la plus haute du Maroc, tracée par la Légion Etrangère pour assurer une voie libre à l'écart du circuit réservé de Telouet, sorte de péage en faveur du Glaoui : brèche ouverte vers Ouarzazate et les palmeraies du sud.
O1 le panneau du col avec Mr Moulinou à droite.
Aller de Marrakech à Imini (environ 155 kms) c'est quitter la vaste plaine du Haouz, pour se diriger vers le village des Aït Ourir par de longues lignes droites ou presque.
02, l'auberge du Zat aux Aït Ourir.
Mais quelques kilomètres après le pont jeté sur le Zat, la route sinue entre les figuiers de barbarie et les forêts de chênes, et grimpe petit à petit jusqu'aux contreforts de Toufliat, site bien connu des iminiens chasseurs de sanglier où Ben Ali et Aomar Noukrati, natifs du lieu, savaient guider les amateurs, sans oublier les cueillettes de morilles succulentes.
03, café de la source, à Toufliat.
A la sortie du village une source naturelle en bord de route servait d'arrêt à tous les cars pour désaltérer les voyageurs et quelques minutes de repos pour les chauffeurs, à l'ombre fraîche des grands arbres près des maisons de l'ONF (Office National des Forêts). Maintenant des petits cafés restaurants et cabanons remplacent cette halte. Quand la route descend au plus près vers l'oued, on peut admirer les plants de lauriers-roses serpentant le long des rives.
04, vallée de Toufliat.
05, les lauriers-roses.
Puis, Taddert, capitale des restaurateurs nuit et jour, et barrière de neige pendant l'hiver, sert de deuxième halte et de tremplin pour la montée plus escarpée. Le paysage prend une forme verticale aux ravins vertigineux, préjudiciable aux personnes sensibles. Mais le paysage est fantastique par son relief, ses changements de couleurs évoluant du rouge vers des nuances de vert généralisées. La végétation disparaît à cette altitude. Peu après les lacets se resserrent, où de nombreux accidents ont eu lieu au cours de ces 60 dernières années. Et les pannes aussi, souvent sur des véhicules anciens et très mal entretenus, ou surchargés, occasionnant des surprises au sortir d'une épingle à cheveux. Des ramasseurs de pierres de toutes sortes se transforment en vendeurs à la criée à chaque ralentissement obligé : améthystes (vraies ou fausses, naturelles ou encrées), quartz, mica, opaline, ...
06, les lacets vertigineux.
07, un étal de pierres.
La route est belle par ses paysages (surtout quand le temps est au beau), mais elle a fait payer un lourd, très lourd tribut aux voyageurs et transporteurs, en toute saison, de jour comme de nuit. Le ruban n'est pas des plus lisses et mieux entretenus, et les rigueurs des saisons sont cruelles avec le revêtement (en septembre 2012 un accident de bus nocturne a tué quarante deux personnes, et blessé vingt-quatre miraculés).
Avant d'arriver au refuge installé sur un méplat, une plaque métallique effacée voudrait rappeler le record de hauteur de neige (au-delà des 6 mètres) lors d'un très ancien hiver. De fait, ce refuge, servant de garage pour les chasse-neige, a rendu de grands services aux voyageurs surpris par le mauvais temps.
08 la plaque du record.
Rappelons nous les convois de transport de manganèse (une à deux fois chaque jour), la camionnette des courses de la mine qui traversait l'Atlas deux fois par semaine aller-retour. Leurs chauffeurs étaient encore plus sollicités que les simples automobilistes.
09 centre commercial du col.
Après le sommet, maintenant transformé en centre commercial des pierres, les virages s'adoucissent jusqu'à Aguelmous, le site de l'ancien téléphérique.
10 le téléphérique.
Puis la traversée du grand bourg d'Igherm n'Ougdal, remarquable par sa gendarmerie (très active en bord de route), sa barrière de neige, son auberge de l'inoubliable Mme DROUIN, son Agadir magnifiquement restauré dominant le village.
11 auberge de Mme Drouin.
12 Agadir d'Igherm.
Quelques kilomètres plus loin, traversant l'oued sur un pont tout neuf qui permet d'éviter les crues sauvages : Agouim mérite un arrêt en souvenir du dispensaire et des centres de formation fondés et dirigés par le Père Norbert en compagnie des frères et soeurs franciscains. A visiter ce centre de formation où l'on est très amicalement accueilli, où l'on peut découvrir les différentes activités de menuiserie, et acheter les magnifiques broderies traditionnelles, ainsi que les tapis artisanaux, à des prix incroyables qui plus est.
Encore quarante kilomètres plus « fluides » le long de l'oued Imini, et la traversée de villages ruraux typiques avant d'arriver à l'embranchement de Sainte Barbe.
13, l'embranchement.
14 , le gué sur l'Assif Imini. Enfin chez nous.
Les camions de la société SACEM, des mines d'Imini, ont utilisé cet axe, en convoi depuis la fin des années 40. Pendant un certain temps le téléphérique créé entre Aguelmous et Talatast a servi de traversée du massif de l'Atlas. Mais devant la diminution des ressources minières, il a été démonté, et les rotations de camions ont repris de plus belle.
Au milieu des années 40 une ébauche de tunnel a vu le jour dans la vallée de l'Ourika et dans celle de l'Assif Tidili. Mais le projet a tourné court devant les difficultés techniques, et surtout financières. Depuis le projet est enterré, malgré des résurgences aléatoires et fugitives.
Quand on connaît les réalisations tunnelières en vogue dans les Alpes suisses ou françaises, on se dit que le tunnel sous l'Atlas serait une grande avancée pour la sécurité routière et l'économie du sud marocain. C'est éluder ce que serait la baisse d'activité dans la montagne du Tichka. Que deviendraient les populations écartées de l'axe routier principal ? Une désertification et une paupérisation en vue ?
Combien de fois avons-nous franchi la chaîne de montagne sous la pluie, dans un brouillard total, dans la neige ? L'existence des refuges est là pour témoigner des périodes de mauvais temps.
Les automobilistes n'avaient pas intérêt à suivre le convoi, d'une vingtaine de camions très encombrants ; et les croiser était encore pire, à les découvrir au hasard d'un virage.
Pour illustrer le danger routier dans l'Atlas, voici un reportage photographique.
Le 18 octobre 1971, le semi-remorque Volvo n° 8 s'est renversé dans un virage à 86 kms de Marrakech, heureusement sans faire de victime. Les causes de l'accident ne sont pas connues : vitesse excessive, faute de conduite, éblouissement, rupture mécanique, … ? Peu importe, le résultat est là. Mais l'urgence est d'assurer la sécurité, de dégager la route, d'évacuer le matériel et le minerai. Ce reportage est une sélection d'un album photographique édité par René BERTRAND (75 avenue Mohamed V à Marrakech), et les légendes explicatives sont de Jean-Louis TRAMOY, ingénieur aux mines de l'Imini.
15 : Volvo renversé. Aspect du virage.(NDLR : Mr Gagneux ?)
16 : minerai étalé, benne vidée naturellement.
17 : avec la présence de MM. Ruhy et Gagneux.
18 : aspect du passage laissé. Borne 79 en second plan (86 kms de Marrakech). (NDLR : 70 kms d''Imini).
19 : grue Dubreucq sur les lieux.
20 : opération de relevage du tracteur (en bascule).
21 : tracteur relevé. Le crochet de relevage « blesse » la partie droite de la cabine. Il aurait été souhaitable de l'attacher en retrait. L'exiguïté des lieux rendait cette opération difficile.
22 : mise en travers de la route de la remorque avant relevage (pour éviter qu'elle ne soit en pente descendante).
23 : remorque relevée face à la montagne.
L'opération est réussie au prix du déplacement d'équipes de dépannage venues d'Imini et de Marrakech, ce qui prend un certain temps et nécessite de mettre le passage en sécurité. Heureusement l'accident s'est déroulé en journée, ce qui a facilité l'intervention.
Mais c'est certainement moins grave que cet accident des années 50.
24 : vieil accident.
Les véhicules chibanis sont entreposés au « cimetière » de Timkkit pour récupération des pièces.
25 : cimetière des camions à Timkkit.
Le modernisme se fait jour avec les nouveaux modèles de camions, tout en conservant les mulets et les ânes sur les pistes montagneuses.
26 : chargement actuel.
27 : transporteur montagnard.
Terminons sur une note plus joyeuse de cette traversée de l'Atlas avec le sourire épanoui de cette jeune berbère allant à la corvée de ramassage de bois.
28, belle rencontre.
Je vous renvoie à divers blogs, tous intéressants et très documentés, dont celui des anciens iminiens, et quelques autres qui invitent à une réflexion sur le passé et l'avenir du projet de tunnel sous l'Atlas. Ce tunnel devait à l'origine déboucher vers l'Assif Tidili et passer par Bou Tazoult. C'était, au temps de la splendeur des mines d'Imini, une rentabilité assurée pour le coût des transports. Mais c'était rêver, puisque depuis ces très anciennes premières études et quelques sondages effectués de chaque côté plus rien n'a bougé.
Aurait-ce été une chance pour Bou Tazoult ? Serait-ce une chance de renaissance de Bou Tazoult ? Rien n'est moins sûr, mais il n'est pas interdit d'espérer.
Jean-Yves TRAMOY.
Bibliographie :
=> Le transport du manganèse de l'Imini. www.ouarzazate-1928-1956.com/imini
=> 06 décembre 2012 Album de 1962- expéditions-téléphérique : http://timkkit2008.canalblog.com/archives/2012/12/06/24620250.html
=> 19 avril 2008 Manganèse par téléphérique et GMC 1953-1962 : http://timkkit2008.canalblog.com/archives/2008/04/19/8878856.html
=> 02 avril 2012 Album photos 54/25ème anniversaire - le téléphérique: http://timkkit2008.canalblog.com/archives/2012/04/02/23683888.html
=> 31 mai 2008 Un tunnel sous l'Atlas ? : http://timkkit2008.canalblog.com/archives/2008/05/31/9345656.html
=> La rocade méditerranéenne désormais opérationnelle : le projet de tunnel du Tichka renvoyé aux calendes grecques: http://www.libe.ma/_a29898.html?print=1
=> Le tunnel de Tichka, rêve lointain ou priorité vitale ?: http://www.almaouja.com/sur-la-vague...riorite-vitale
=> Plaidoyer pour le projet du tunnel entre Marrakech / Ouarzazate Lier la moitié nord à l’autre Mohamed RIAL: http://goagadir.info/content/view/838/1/
=> Un tunnel dans le massif du Haut-Atlas, pour contourner l'écueil que constitue le col du Tizi-n’Tichka (2.900 m d'altitude) ? L'idée ne date pas d'aujourd'hui et refait surface régulièrement, sans que le projet se soit réalisé. Mohamed Moujahid: http://www.casafree.com/modules/news...p?storyid=1187
Merci à Jean-Yves qui a construit pour nous ce très beau reportage. C'est une vraie chance qu'il ai pu conserver ces documents objectifs sur cet accident du camion Volvo en 1972. D'autres iminiens peuvent apporter de nouveaux témoignages pour les publier sur le blog et nous espérons que Jean-Yves détient d'autres documents intéressants à partager. Le printemps revient, bonne saison du renouveau à tous les Iminiens !